Sensibilité et spécificité des tests
Les tests orthopédiques, ou « Special Test » en anglais, ont encore aujourd’hui une place importante dans notre formation de base.
Ils sont historiquement utilisés pour inclure ou exclure une pathologie spécifique, selon la sensibilité et la spécificité du test.
Parlons le même langage1Timsit, E., Léguillette, R., White, B. J., Larson, R. L., & Buczinski, S. (2018). Likelihood ratios: an intuitive tool for incorporating diagnostic test results into decision-making. Journal of the American Veterinary Medical Association, 252(11), 1362–1366. https://doi.org/10.2460/javma.252.11.13622Pewsner, D., Battaglia, M., Minder, C., Marx, A., Bucher, H. C., & Egger, M. (2004). Ruling a diagnosis in or out with « SpPIn » and « SnNOut »: a note of caution. BMJ (Clinical research ed.), 329(7459), 209–213. https://doi.org/10.1136/bmj.329.7459.209 :
- Un test sensible permet d’exclure une pathologie s’il est négatif.
- Un test spécifique permet d’inclure une pathologie s’il est positif.
Sur le papier, c’est très intéressant. Dans la vraie vie, il n’existe que peu de tests qui ont une sensibilité et/ou spécificité de 100 % : il existe donc des faux-négatifs et des faux-positifs.
Concrètement, cela correspond à un test sensible négatif alors que le patient présente effectivement la pathologie, et un test spécifique positif alors que le patient ne présente pas la pathologie.
Nous avons tous appris de nombreux tests durant notre formation, mais sont-ils vraiment utiles ?
Seulement 4% des tests cliniques ont une valeur suffisante pour être utilisés seuls 3Chad Cook, Eric Hegedus, 2011, livre « Orthopedic Physical Examination Tests: An Evidence-Based Approach ».
Validité des tests
Vous avez sans doute appris différents tests pour différencier les structures de l’épaule, comme le test de Jobe aussi appelé Empty Can Test, pour « cibler le muscle supra-épineux » : près de 8 autres muscles sont aussi actifs que le supra-épineux lors de ce test4Boettcher, C. E., Ginn, K. A., & Cathers, I. (2009). The ’empty can’ and ‘full can’ tests do not selectively activate supraspinatus. Journal of science and medicine in sport, 12(4), 435–439. https://doi.org/10.1016/j.jsams.2008.09.0055 Lewis, J. (2016). Rotator cuff related shoulder pain: assessment, management and uncertainties. Manual therapy, 23, 57-68.
Nom | Sensibilité | Spécificité | LR + | LR – |
Test de Jobe ou Empty Can Test6Hermans, J., Luime, J. J., Meuffels, D. E., Reijman, M., Simel, D. L., & Bierma-Zeinstra, S. M. (2013). Does this patient with shoulder pain have rotator cuff disease?: The Rational Clinical Examination systematic review. Jama, 310(8), 837-847 | 71 % | 49 % | 1,39 | 0,59 |
Ce test a une spécificité de 49 %, ce qui équivaut pratiquement à tirer pile ou face avec votre patient. Il paraît illusoire de cibler une structure précise dans le cas de douleur d’épaule, et ce n’est de toute façon pas nécessaire étant donné la faible corrélation entre la défaillance structurelle et les symptômes7Simpkin, A. L., & Schwartzstein, R. M. (2016). Tolerating Uncertainty – The Next Medical Revolution?. The New England journal of medicine, 375(18), 1713–1715. https://doi.org/10.1056/NEJMp16064028Lewis, J., McCreesh, K., Roy, J. S., & Ginn, K. (2015). Rotator Cuff Tendinopathy: Navigating the Diagnosis-Management Conundrum. The Journal of orthopaedic and sports physical therapy, 45(11), 923–937. https://doi.org/10.2519/jospt.2015.5941.
Les clusters de tests
Est-ce que ce test est à jeter ?
Probablement pas, mais il faudra l’utiliser autrement.
Il existe ce qu’on appelle des clusters de tests, c’est-à-dire que les résultats de plusieurs tests sont pris en compte pour inclure/exclure une pathologie.
Il existe par exemple le Cluster de Laslett, comportant 4 à 5 tests n’ayant pas de grandes valeurs seules, mais mis ensemble ils forment un cluster assez puissant pour inclure un problème sacro-iliaque9Van der Windt, D. A., Simons, E., Riphagen, I. I., Ammendolia, C., Verhagen, A. P., Laslett, M., … & Aertgeerts, B. (2008). Physical examination for lumbar radiculopathy due to disc herniation in patients with low-back pain. Cochrane database of systematic reviews.
Vous en conviendrez, tous les tests ne font pas parti d’un cluster.
Ils ne sont toujours pas à jeter pour autant : vous pouvez les utiliser comme des marqueurs d’évolution / signes comparables lors de votre prise en charge.
Par exemple :
- un test de Jobe provoque la douleur principale d’un patient, qu’il reconnaît.
- Ou mieux, c’est le mouvement habituel (ou qui s’en rapproche le plus au niveau fonctionnel) qui déclenche sa douleur.
- Une façon de s’assurer de sa bonne évolution sera de re-tester le test de Jobe par la suite.
- Ou bien, directement après une technique de modification de symptômes pour voir si cela fonctionne.
Est-ce que tous les tests sont à jeter ?
Non, les attentes envers ces tests sont simplement exagérées10Simpkin, A. L., & Schwartzstein, R. M. (2016). Tolerating Uncertainty – The Next Medical Revolution?. The New England journal of medicine, 375(18), 1713–1715. https://doi.org/10.1056/NEJMp1606402.
La place des tests dans votre hypothèse diagnostic
Il existe toutefois des tests suffisants pour orienter (ou non) vers une hypothèse diagnostic.
Ils ont le même but que les questions de l’anamnèse : augmenter ou diminuer le degré de certitude d’une hypothèse, bien qu’il restera « toujours » un degré d’incertitude11Simpkin, A. L., & Schwartzstein, R. M. (2016). Tolerating Uncertainty – The Next Medical Revolution?. The New England journal of medicine, 375(18), 1713–1715. https://doi.org/10.1056/NEJMp1606402.
Pour résumé, les tests orthopédiques ou « Special Test » ne sont pas si spéciaux que cela.
Il faut rester humble quant aux conclusions de l’utilisation d’un test seul, et garder à l’esprit qu’ils ne se valent pas tous. Certains restent toutefois puissants, mais peu ciblent vraiment une structure de manière isolée.
Votre raisonnement clinique est votre meilleur allié.

Aujourd’hui
– Cofondateur de Kiné-à-jour
– Kinésithérapeute libéral ; PT, MSc, OMT (en cours)
– Auteur
– Promoteur de mémoire pour l’UCLouvain
Formations principales
– Master complémentaire en musculo-squelettique (UCLouvain)
– Certificat universitaire en thérapie manuelle orthopédique (UCLouvain)
Autres formations
– Lombalgie 1.0 – Prescription d’exercices
– L’épaule EBPratique
– McKenzie – Partie A
Références
- 1Timsit, E., Léguillette, R., White, B. J., Larson, R. L., & Buczinski, S. (2018). Likelihood ratios: an intuitive tool for incorporating diagnostic test results into decision-making. Journal of the American Veterinary Medical Association, 252(11), 1362–1366. https://doi.org/10.2460/javma.252.11.1362
- 2Pewsner, D., Battaglia, M., Minder, C., Marx, A., Bucher, H. C., & Egger, M. (2004). Ruling a diagnosis in or out with « SpPIn » and « SnNOut »: a note of caution. BMJ (Clinical research ed.), 329(7459), 209–213. https://doi.org/10.1136/bmj.329.7459.209
- 3Chad Cook, Eric Hegedus, 2011, livre « Orthopedic Physical Examination Tests: An Evidence-Based Approach »
- 4Boettcher, C. E., Ginn, K. A., & Cathers, I. (2009). The ’empty can’ and ‘full can’ tests do not selectively activate supraspinatus. Journal of science and medicine in sport, 12(4), 435–439. https://doi.org/10.1016/j.jsams.2008.09.005
- 5Lewis, J. (2016). Rotator cuff related shoulder pain: assessment, management and uncertainties. Manual therapy, 23, 57-68
- 6Hermans, J., Luime, J. J., Meuffels, D. E., Reijman, M., Simel, D. L., & Bierma-Zeinstra, S. M. (2013). Does this patient with shoulder pain have rotator cuff disease?: The Rational Clinical Examination systematic review. Jama, 310(8), 837-847
- 7Simpkin, A. L., & Schwartzstein, R. M. (2016). Tolerating Uncertainty – The Next Medical Revolution?. The New England journal of medicine, 375(18), 1713–1715. https://doi.org/10.1056/NEJMp1606402
- 8Lewis, J., McCreesh, K., Roy, J. S., & Ginn, K. (2015). Rotator Cuff Tendinopathy: Navigating the Diagnosis-Management Conundrum. The Journal of orthopaedic and sports physical therapy, 45(11), 923–937. https://doi.org/10.2519/jospt.2015.5941
- 9Van der Windt, D. A., Simons, E., Riphagen, I. I., Ammendolia, C., Verhagen, A. P., Laslett, M., … & Aertgeerts, B. (2008). Physical examination for lumbar radiculopathy due to disc herniation in patients with low-back pain. Cochrane database of systematic reviews
- 10Simpkin, A. L., & Schwartzstein, R. M. (2016). Tolerating Uncertainty – The Next Medical Revolution?. The New England journal of medicine, 375(18), 1713–1715. https://doi.org/10.1056/NEJMp1606402
- 11Simpkin, A. L., & Schwartzstein, R. M. (2016). Tolerating Uncertainty – The Next Medical Revolution?. The New England journal of medicine, 375(18), 1713–1715. https://doi.org/10.1056/NEJMp1606402